Évolution de la forme des vaisseaux vinaires
29 juillet 2021L’art de la tonnellerie a, « depuis longtemps, atteint le degré de perfectionnement auquel il était susceptible de parvenir. Nos ancêtres faisaient, à peu de choses près, les tonneaux aussi bien qu’on les fait de nos jours. » (W. Maigne, Nouveau manuel complet du tonnelier et du jaugeage, 1875).
Si les techniques de fabrication ont peu évolué depuis l’origine, il n’en est pas de même pour la forme et la typologie des tonneaux. Cela s’explique en grande partie par l’évolution de leur usage au fil des siècles. De contenant destiné au transport de volumes importants, le tonneau est en effet progressivement devenu un outil de vinification et d’élevage dont il a fallu adapter la forme pour faciliter sa manipulation et optimiser les surfaces de contact entre contenu et contenant.
Les tonneaux antiques découverts lors de fouilles archéologiques présentent généralement une contenance de plusieurs centaines de litres. L’archéologue David Djaoui explique ces dimensions par le fait que le tonneau était à l’époque principalement destiné au commerce de gros : « À l’inverse de l’amphore, d’une contenance moyenne de 26 litres, le tonneau peut contenir entre 70 et 1200 litres. Autrement dit le volume du tonneau définit par nature des quantités énormes qui s’adressent davantage à des grossistes. Face au risque d’une telle transaction, l’échantillon assurait une garantie. On a souvent opposé les amphores aux tonneaux. Selon moi, amphores et tonneaux étaient complémentaires. L’amphore se rapproche du commerce de la bouteille et s’adresse, surtout pour les grands crus, à des particuliers fortunés. Charge à eux d’y laisser vieillir le vin et de constituer des caves. Le tonneau quant à lui est destiné au commerce du vrac et s’adresse aux grossistes. Lorsque le tonneau arrive, le vin est transvasé en amphore pour faciliter la vente et la conservation à long terme. Dans l’Antiquité, les vins se conservaient de nombreuses années. Pour preuve des textes d’un érudit grec, Athénée de Naucratis. Il dit que le Falerne, un vin réputé de l’Antiquité, pouvait être bu après 10 ans, mais qu’il était optimal entre 15 et 20 ans. Il dit aussi que le vin de Sorrente n’était pas buvable avant 25 ans ! Pour l’Antiquité, une telle durée de conservation n’était possible qu’en amphore. * »
Les tonneaux antiques découverts par les archéologues présentent par ailleurs bien souvent une forme allongée avec un très faible bombé au niveau du bouge. Cette forme paraît confirmée par les représentations iconographiques de la même période comme en témoigne par exemple la stèle de Sentia Amaranis (Espagne)**.
Les tonneaux de l’Antiquité et du haut Moyen Âge étaient moins bombés au bouge. En effet, cette forme, moins cintrée, était plus facile à produire.
Les représentations de la fin de la période médiévale sont plus fidèles aux formes et aux typologies des tonneaux utilisés de nos jours. Cela laisse supposer que l’accentuation de la forme bombée au bouge s’est imposée à cette époque avec l’évolution des savoir-faire et la diminution de l’emploi des grands vaisseaux vinaires (les tonneaux d’une contenance de 800 à 900 litres notamment) au profit de contenants plus petits comme la queue, le muid ou le quartaut (contenant respectivement 402, 268 et 67 litres à Paris).
De façon empirique, il est apparu qu’un bouge plus marqué présentait plusieurs avantages. Il permettait par exemple de rouler plus facilement les tonneaux afin de faciliter leur manipulation, d’augmenter leur résistance, tout en améliorant la conservation des vins en retenant moins d’air entre la surface du liquide et la paroi interne.
La forme des tonneaux continue à évoluer aujourd’hui pour répondre aux exigences de qualité des domaines viticoles comme en témoigne par exemple la barrique Phi développée par les artisans de la manufacture tonnelière La Grange. La forme de cette barrique, conçue à partir du nombre d’or, permet en effet de créer une harmonie parfaite entre le bois et le vin avec une surface de contact au vin idéale conférée par la proportion divine.
**Il faut néanmoins rester prudent avec les représentations iconographiques de cette période dans la mesure où les proportions n’étaient pas forcément respectées par les artistes en raison, notamment, des contraintes du support.
Visuel 1 : Groupe d’archéologues autour de deux foudres, 1897 (Silchester, Angleterre) © D.R.
Visuel 2 : Barrique Phi, La Grange. Tatouage Old school de Yannick Meziani © Christophe Deschanel