Les Bertranges, de la Sainte Vierge à l’ONF
12 février 2019La chênaie séculaire des Bertranges, au nord de Nevers, sur la rive droite de la Loire, se trouve dans la région Bourgogne-Franche-Comté ; autant dire que la géographie l’a naturellement vouée au vin. L’histoire de cette forêt de haute futaie remonte au XIIe siècle et son destin est lié à celui d’une femme. Une dame très dévote qui, au seuil de sa mort, fit don de la majeure partie de ses biens à la Vierge Marie. Ermengarde de Narcy céda ainsi la « Grande Bertrange », l’ensemble boisé dépendant de sa seigneurerie.
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La forêt domaniale s’étend sur 14 communes et 389 parcelles, soit au total 7 500 hectares, avec 80 % de chênes et 5 % de hêtres, qui étaient autrefois dominants. Sa superficie a presque doublé depuis 1886. Dans une de ses clairières, on découvre un petit village au milieu des bois : bienvenue à Murlin, siège du Groupe Charlois, premier exploitant forestier français en chêne. « La Bertrange », comme on dit en parlant d’une femme aimée, fournit des grumes de chêne d’une qualité exceptionnelle, que l’ébénisterie et la tonnellerie se disputent chaque année lors des ventes organisées par l’ONF.
Son secret réside dans son sol, un terrain jurassique formé de « limons argileux ou argilo-siliceux du Pliocène supérieur, désignés généralement sous le nom d’argiles à silex et localement sous celui de boulaise ».
« Cette chênaie atlantique a un profil géologique proche de Tronçais et de Bercé », souligne Cyril Gilet, technicien forestier territorial de l’ONF en poste aux Bertranges depuis 1996. « C’est une forêt de chênes sessiles à 80 %, dont l’âge moyen est de 90 ans. Le sessile est un arbre à croissance lente, avec son cortège de végétation, de hêtres ou de charmes, et il a besoin d’environ 60 ans de plus que le pédonculé pour atteindre les 60 centimètres de diamètre. L’arbre le plus haut mesure ici 38 mètres, cela peut sembler limité, mais le chêne grandit avant de grossir et c’est la lenteur de sa croissance qui détermine sa qualité », ajoute ce hussard vert dévoué à « la Bertrange ». Plus une forêt est ancienne, plus son sol est riche en humus ; c’est le secret de cette chênaie que l’on peut qualifier de grand cru forestier.
Paradis des promeneurs, du Pays charitois et d’ailleurs, la forêt des Bertranges est traversée par un des chemins de Compostelle, celui de la voie de Vézelay, et par le GR654. Fontaine de la Vache, vallée de Gratte-Chien, vallon de Maupreyonde, où le Mazou prend sa source avant de se jeter dans la Loire, sont quelques-uns des lieux-dits que sillonnent des allées cavalières. On peut parfois y croiser une chasse à courre, celle du Rallye pique avant nivernais, fondé en 1919. Philippe de Roüalle, l’actuel maître d’équipage, y découple les mardis et samedis, dans la voie du chevreuil et du cerf. L’autre roi des Bertranges, avec le chêne, est en effet le cerf.
Paru en octobre 2018, le livre Le Chêne en majesté, de la forêt au vin met en lumière le concept de terroir forestier : un sol et une exposition, une pluviométrie particulière, un ensoleillement spécifique, auxquels il faut ajouter un type d’essences, une densité de plantation et un âge moyen, qui vont influencer le grain et la qualité du bois. La valeur d’une haute futaie de chênes dépend donc de son terroir et de la manière dont elle a été « conduite », dirait un vigneron, ou « gérée », dit l’expert forestier.
Le livre, richement illustré de photographies, dresse notamment, à travers un abécédaire forestier offrant aux lecteurs de nombreux détails géographiques, mésoclimatiques, géologiques et historiques, la liste de vingt-six chênaies parmi les plus belles de France, à l’image de la forêt domaniale des Bertranges.
Retrouvez l’intégralité de l’article sur les Bertranges dans l’abécédaire des grandes chênaies de France, et bien plus encore, dans Le chêne en majesté, de la forêt au vin de Sylvain Charlois et Thierry Dussard.