La petite fille et le loup
3 décembre 2020Version orale nivernaise du conte du Petit Chaperon rouge, La petite fille et le loup comporte des détails, parfois surprenants, que l’on retrouve dans de nombreuses versions orales du conte mais que Charles Perrault a volontairement choisi d’éliminer pour simplifier l’histoire dans son recueil des Contes de ma mère l’Oye. La version du conte que nous vous présentons ici est étonnante mais loin d’être la plus sordide des versions collectées par Achille Millien puisque dans l’une d’elle par exemple la petite fille, sans le savoir, consomme un morceau de sa grand-mère dépecée par le loup.
« Il y avait une fois une femme. Elle avait une petite fille. Elle lui dit : – je vais te faire une époigne* pour ta grand’-mère, et puis je vais te mettre un peu de crème dans un petit pot. Tu vas porter tout cela à ta grand’-mère. »
Pour rejoindre la maison de sa grand-mère, la petite fille doit traverser la forêt dans laquelle elle y croise le loup. La forêt représente ici, comme bien souvent dans les contes, un univers hostile et sauvage plein de dangers que l’enfant doit affronter seul.
« Quand la petite fille fut bien loin, elle rencontra un loup qui lui dit : – Où vas-tu donc, ma petite ? – Je porte une époigne avec un peu de crème à ma grand’mère. – Par quel chemin passes-tu donc ? – Je vais prendre le chemin des Aiguilles. Je vais en ramasser, de celles qui auront de gros trous, pour ma grand’mère qui ne voit plus bien clair. – Moi, je vais prendre le chemin des Épingles. Le loup est arrivé le premier, il a mangé la grand’-mère, il a laissé la tête qu’il a mise sur une assiette et son sang qu’il a mis dans une bouteille sur le coffre. »
Morale de l’histoire
Contrairement à de nombreuses versions orales de ce conte et à la version bien connue du Petit chaperon rouge de Charles Perrault, la petite fille échappe ici à la voracité du loup et arrive à se réfugier chez elle après lui avoir joué un tour en prétextant un besoin à satisfaire : « Quand la petite fille fut là : – Mange, lui dit-il, puis tu vas venir te coucher vers moi. Mange la viande qui est sur le coffre. – Je n’en veux point de ta viande, elle n’est pas cuite. – Bois du vin. – Il n’est pas bon non plus, ton vin. – Viens te coucher. Quand elle a vu sa grand’-mère dans le lit : – Oh ! j’ai trop envie de faire pipi, il faut que je sorte. – Avant d’aller faire pipi, viens un peu vers moi. Quand elle fut vers sa grand’mère : – O ma grand’mère, que tu as de grands poils ! – C’est pour mieux te réchauffer, mon enfant. – O ma grand’mère, que vous avez donc de grandes oreilles ! – C’est pour mieux écouter, mon enfant. – O ma grand’mère, que vous avez donc de grandes dents ! – C’est pour mieux manger, mon enfant. – O ma pauvre grand’mère, j’ai trop envie de faire pipi. Mets-moi une aiguillée de laine au pied si tu as peur que je me sauve. Quand elle a été dehors, elle a cassé la laine et l’a attachée à un morceau de bois. Alors le loup ; en colère de voir qu’elle ne revenait pas, s’est levé, et il est allé dans la cour ; quand il a vu ce qu’elle avait fait, il s’est mis à courir derrière elle. Elle arrivait à la maison de sa mère. L’escalier avait trois marches. Elle était sur la dernière que le loup arrivait sur la première. Elle est tombée raide (chez elle), la porte refermée, et le loup est resté dehors. »
Le parcours initiatique de la petite fille, ponctué de rites de passage, est communément interprété comme l’accession symbolique à la puberté.
La classification des contes
La petite fille et le loup est un conte de type AT 333** dont la version la plus connue est celle du Petit chaperon rouge dont on dénombre une centaine de variantes.
Paul Delarue indique dans ses Contes du Nivernais et du Morvan que la version qu’il publie est la version C*** des manuscrits d’Achille Millien qui en collecta 8 versions différentes auprès d’habitants du département.
D’après les notes de Paul Delarue, la version A des manuscrits d’Achille Millien, contée par Marie Rougelot de Murlin, connaît un dénouement tragique pour l’héroïne puisque le loup, comme dans le conte de Charles Perrault, finit par la dévorer.
*Le mot époigne en Nivernais désigne un petit pain pour les enfants réalisé avec les rognures de pâte de pain. Le mot peut aussi parfois désigner une petite galette.
**Conte-type AT 333 dans la classification Aarne-Thompson.
***Contée par Madame Maillot de Glux-en-Glenne en 1887.
Visuels : Gravures de Gustave Doré © D.R.