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Portrait

José Simoes, trieur chez Maison Charlois, raconté par Stéphane Ebel

29 février 2024 José Simoes, trieur chez Maison Charlois, raconté par Stéphane Ebel

Le liseur de bois

 

Il est de ces gens qu’on a envie de laisser parler, d’écouter. À quelques encablures de grandes vacances bien méritées, José Simoes, 66 ans, a passé plus de trente ans dans la Maison Charlois. Rencontre.

 

Il est 16h passé de quelques minutes. José vient de trier et d’empiler ses dernières pièces de merrain de la journée. Une journée presque comme les autres, à peu de choses près. Des journées, il ne lui en reste plus beaucoup à faire. « Je ne réalise pas vraiment » me répond-il quand je lui pose la question en marchant vers les bureaux installés dans l’ancienne maison de Denis Charlois. « J’ai commencé ici, presque par hasard en 1992.  Ça a bien changé depuis ». Chemin faisant, José me glisse discrètement : « ça me fait un peu suer de laisser mon équipe, surtout les jeunes. Ceux de mon âge sont déjà partis. On s’entend bien, il y a une bonne ambiance, c’est important, ça va me manquer ».

 

Engagé aux Açores

Rien ne prédestinait José à venir s’installer de façon pérenne dans la Nièvre. Lui son truc, c’était l’armée. « J’ai passé une dizaine d’années dans l’armée portugaise. Ça a marqué mon caractère souligne le néo-retraité ». Le service national, d’abord, puis l’armée. « J’étais affecté aux Açores, sur l’une des neuf îles que compte l’archipel ». Des années marquées par un événement particulier survenu le 1er janvier 1980, à jamais gravé dans sa mémoire. « Je m’en souviens comme si c’était hier de ce tremblement de terre. Le bruit, les odeurs, la poussière, les cris… C’est ce qui m’a décidé à poursuivre mon engagement dans l’armée, pour porter secours et assistance à la population, aux victimes, participer à la reconstruction ». Il est comme ça José, altruiste, soucieux de son prochain. Aimant et aimé. Quand l’heure de la retraite militaire sonne, José brigue une affectation au sein de la Garde Nationale Républicaine. « J’ai passé le concours, mais je n’ai pas été retenu. Il y avait 15 places pour 3 000 candidats ». De retour sur le continent, avec femme et enfant, José fera une pige de quelques mois dans une entreprise de transformation alimentaire, au département emballage : « J’étais au service RH. J’avais une vingtaine de personnes sous ma responsabilité. Une chouette expérience ».

 

La poignée de mains

Les aléas de la vie vont amener José à quitter son Portugal natal et à rejoindre ses parents et son frère, Carlos, installés dans la Nièvre à Tronsanges. « Tout recommencer, repartir de zéro, c’est pour ça que je suis venu en France ». Une première mission de quelques mois en région parisienne dans une entreprise de bâtiment marquera le début de la nouvelle vie de José. « Un jour, mon frère (Carlos ndlr) m’appelle. Il travaillait déjà chez Charlois, à la scierie. Il m’a dit que l’entreprise embauchait. Je suis venu à Murlin le samedi qui suivait pour voir Denis Charlois. Une première poignée de main pour se saluer. « Tu peux être là lundi à 7h ? Me demande Denis. Je lui réponds oui ». La seconde poignée de main vaudra contrat d’embauche. « C’était fin novembre 1992, le 30 il me semble. Depuis, je n’ai jamais quitté l’entreprise ».

 

Merrain enchanteur

L’histoire de Charlois, de l’entreprise, de la famille, il la connaît sur le bout des merrains. « Beaucoup de choses ont changé en trente ans. On est passé de l’artisanal à l’industriel, tout en préservant le savoir-faire. Il y a des machines aujourd’hui qu’il n’y avait pas avant, mais le métier est resté le même. Les hommes aussi. Il faut vivre avec son temps ». José a démarré son aventure chez Charlois à la scierie, dans un bâtiment aujourd’hui disparu. « On faisait des traverses de chemin de fer dans mon atelier. Dans l’autre, en face, les gars faisaient du merrain. On était une trentaine à bosser sur site. J’ai beaucoup aimé travailler ici, c’était ma seconde famille ». Un brin nostalgique, José n’est pas du genre à oublier ceux qui lui ont tendu la main. « J’aurai pu chercher du travail ailleurs, mais je m’y suis refusé. Cette boîte a été la chance de ma vie, pour plein de raisons ».

Pour José, le chemin fut parfois sinueux, mais il a réussi à garder le cap. « Je sais ce que je dois à la famille Charlois, à Denis et à Sylvain ». La suite de sa carrière, José la fera en merranderie, au tri et à l’empilage. Un travail pour lequel la main de l’homme est indispensable, l’œil aussi.  « C’est un travail d’équipe. Chaque maillon de la chaîne est important, de la fente à l’empilage en passant par le tri. Repérer un défaut, un fil pas droit, un nœud traversant… Le marquer à la craie pour l’éliminer lors de la phase d’écourture. C’est un vrai savoir-faire chez nous, un savoir-faire qui se transmet, que j’ai transmis comme on me l’a transmis. J’ai appris à lire le bois, j’en ai lu beaucoup, des milliers de volumes. À force, on le vit. Sa texture, sa couleur, sa résonnance, l’épaisseur. Je n’ai pas besoin d’un mètre pour savoir si c’est une planche de 27 ou de 22 ». En merranderie, tu dois penser aux gars qui bossent avec toi, anticiper. Chaque étape prépare la suivante. Quand tu scies, tu penses à celui qui déligne, quand tu délignes, tu penses à celui qui trie, à celui qui empile. C’est un travail d’équipe où chaque détail a son importance. La merranderie, c’est le métier premier des Charlois. Ça a été le mien tout le temps que je suis resté ici ».

 

 

Trois questions à José :

José, le 1er mars prochain, vous serez à la retraite. Quel est votre sentiment ?

Je n’y pense pas trop pour le moment. Ça devait bien arriver un jour. Les choses ont un peu duré car avec mon armée au Portugal, ça n’a pas été simple de faire le dossier. Mais bon, maintenant c’est acté ! Les collègues vont me manquer, c’est sûr, j’aime bien mon équipe, mon travail, Murlin.

 

Comment allez-vous occuper vos journées ?

Je vais déjà prendre un peu de temps pour moi, me poser. Et puis, grâce à Facebook, j’ai renoué contact avec des anciens du régiment. On a prévu de se revoir. Il y en a un peu partout dans le monde. Ça sera l’occasion de voyager, j’adore ça. Pas pour faire du tourisme, mais pour faire des rencontres, des découvertes. C’est ce que j’aime. Je vais aller rendre visite à mon fils et à ma petite-fille qui sont au Portugal. Peut-être que je retournerai vivre là-bas, dans le village de mon enfance Coimbra. On verra bien. Sinon je vais continuer à profiter de la nature, à marcher, à faire de la randonnée.

 

Vous avez passé plus de trente au sein de Charlois, qu’en retirez-vous ?

(Temps de réflexion…) Tellement de choses. En arrivant ici, je repartais de zéro. Je ne savais pas ce qui m’attendait. J’ai connu des moments difficiles. Mais j’ai tenu bon. Je sais ce que je dois à la famille Charlois, en particulier à Denis et Sylvain. Je ne l’oublierai jamais. Je ne pense pas qu’il existe beaucoup d’entreprises comme ça, avec cet état d’esprit, ces valeurs humaines. Je suis fier d’avoir participé à cette belle aventure depuis le début ou presque. Je suis content d’avoir croisé la route de Denis, de Sylvain et de beaucoup d’autres. Charlois, c’est une belle aventure humaine pour moi.

 

 

Photographie © Christophe Deschanel

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