Alexandre Zefner, tonnelier à la manufacture tonnelière La Grange, raconté par Stéphane Ebel
7 juin 2019« DE L’AUTRE CÔTÉ DU VIN »
PLUS QU’UN MÉTIER, UNE PASSION !
Est-ce lui qui a choisi la tonnellerie, ou le contraire ? La question se pose tant ils semblent faits l’un pour l’autre. Alexandre n’a que 24 ans, seulement deux années d’expérience, mais une connaissance du métier et de son environnement qui témoignent de sa passion. En 2018, il a quitté sa Charente natale pour rejoindre la Nièvre et plus précisément Murlin, village de 90 âmes au milieu de la forêt domaniale des Bertranges, dans la vallée du Mazou. Berceau du chêne majestueux utilisé pour fabriquer les barriques de vin et de la famille Charlois.
De l’ébénisterie à la tonnellerie.
Alexandre est l’un des trois tonneliers de la manufacture La Grange créée il y a deux ans. Après un CAP et un Bac Pro en ébénisterie, il rejoint la tonnellerie Leroi*, à Cognac, alors en quête de main d’œuvre et lui en recherche d’emploi. Il s’engage dans un CAP de tonnelier. Nous sommes en 2016. Un essai concluant pour Alexandre. En quelques mois, il acquiert les gestes et les savoir-faire du métier et se classe second au concours du Meilleur Apprenti de France. « J’ai toujours aimé travailler de mes mains, et en particulier le bois ». Humble et appliqué, son maître d’apprentissage, Xavier Dupuis, le décrit comme méticuleux, voire pointilleux. L’intéressé ne s’en défend pas : « J’aime le travail bien fait ». À le regarder œuvrer, ça se confirme. De l’évidage de la douelle, à la finition de la robe du fût, en passant par le rognage de la tête de barrique, c’est toujours la même attention, la même précision du geste.
Les sens en éveil.
Dans la tonnellerie, au petit matin, la chauffe, étape primordiale dans la fabrication, libère les arômes du bois. Ceux qui donneront au vin une note de pain grillé, de viennoiserie. Alexandre choisit ses douelles pour une future barrique. Il en faudra trente, de largeurs différentes, pour composer le contenant. Étalées les unes à côté des autres, leur développé doit atteindre précisément la dimension de 215,7 centimètres. « Une mauvaise douelle, c’est une barrique qui fuit ». À l’œil, dans la lumière naturelle, il ausculte chacune d’entre elles. Un contrôle visuel, doublé d’un contrôle de la main, d’une caresse du bois. « C’est la Rolls du chêne. On ne peut rêver mieux ». Curieux et passionné, Alexandre est également de l’aventure de la « barrique Phi** », une barrique aux dimensions parfaites, inspirées du nombre d’Or, 1.618, imaginée et créée par Xavier Dupuis. « Chaque étape a été un problème, et pour chaque problème il y a eu une solution. C’est ce qui me plaît, relever des défis, créer, trouver des solutions, chercher… ». Le prochain défi, à très court terme d’Alexandre, sera de réaliser seul la barrique Phi mise au point par son maître d’apprentissage. La relève est assurée !
5 questions à Alexandre :
– Pourquoi avoir choisi La Tonnellerie La Grange, et la Nièvre ?
Pendant un an, je venais en déplacement ici, depuis Cognac, avec mon maître d’apprentissage, Xavier Dupuis. C’était en 2017. En juillet 2018, on m’a proposé de signer un CDI ici. J’ai réfléchi un dixième de seconde avant de dire oui (sourires).
– Qu’est-ce qui vous a motivé ?
Ici, tout est fait à la main, avec le plus beau bois dont on puisse rêver, dans le respect de la tradition de la fabrication des barriques. Le procédé est identique à celui imaginé par les Gaulois, vous imaginez ? Les douelles sont là, juste en face, dans le parc à bois, la merranderie est à deux pas, la forêt aussi.
– Quel regard portez-vous sur le métier de tonnelier ?
C’est un métier noble. Savoir que les barriques que l’on fabrique de nos mains vont rejoindre des chais prestigieux, que les vins qui y seront élevés sont parmi les meilleurs du monde… c’est extraordinaire. Toutes les conditions sont ici réunies pour que nous exercions notre métier dans les meilleures conditions.
– Et sur votre parcours ?
J’ai travaillé plusieurs années comme ébéniste, dans la création, la restauration… Si je devais faire un parallèle entre les deux métiers, je dirais que l’on apporte le même soin, le même souci du détail, de précision et de technicité. Le bois est une matière vivante et noble qui a ses codes. On travaille à partir de merrains qui ont 150 ans d’âge voire plus, avec des outils manuels que l’on fabrique parfois nous-mêmes. J’aurai pu chercher et continuer dans l’ébénisterie, mais j’ai découvert plus qu’un métier avec la tonnellerie.
– C’est-à-dire ?
Chaque barrique que l’on crée est unique. Elle sera l’un des éléments essentiels dans l’élevage des vins. L’essence du bois, le temps de chauffe, l’assemblage des douelles, l’étanchéité des barriques sont autant d’étapes qui doivent garantir la qualité des vins. Et puis, on fait aussi de la restauration, de la réparation. C’est simple, quand j’arrive à la tonnellerie le matin, je n’ai pas l’impression de venir au travail. C’est presque un loisir.
* La tonnellerie Leroi, à Cognac, fait partie du groupe Charlois.
** La barrique Phi, ou nombre d’Or est une commande spéciale de La Romanée Conti. Un fût aux proportions parfaites inspirées du mythique nombre d’Or. D’une contenance de 233l, la barrique Phi un peu plus haute (120 cm, contre 95 cm) permet, entre autre, d’optimiser le contact entre le contenu et le contenant. Sa fabrication aura nécessité quelque 36 mois de recherche, de travail…
Photos : Christophe Deschanel