Mais que font donc les arbres en hiver ?
13 février 2018C’est étrange, un arbre, en hiver. Immobile, sombre, décharné. Seul, sur fond de ciel blanc et terne. Subissant sans broncher les assauts hostiles du vent, du froid, de la pluie, de la neige aussi. Que fait-il ? Comment passe-t-il le temps ? Il attend ? Mais quoi exactement ?
C’est étrange, un arbre, en hiver. Immobile, sombre, décharné. Seul, sur fond de ciel blanc et terne. Subissant sans broncher les assauts hostiles du vent, du froid, de la pluie, de la neige aussi. Ses branches comme celles d’un malheureux escogriffe. Au printemps, il exulte. Ses bourgeons éclatent, il se pare de mille feuilles, le vert est annoncé, c’est la fête au végétal. Mais l’hiver ? Que fait-il ? Comment passe-t-il le temps ? Il attend ? Mais quoi exactement ?
1. Il stoppe sa croissance – Les plantes sont des organismes poïkilothermes, dont la température varie avec celle de leur environnement. Contre la rigueur de l’hiver, les arbres ont développé des stratégies de survie. La première consiste à entrer graduellement dans la dormance, encouragée par les températures de plus en plus fraîches (entre 8 et 12 °C), voire froides. Comment ? En interrompant la division de leurs cellules ! Celles-ci se trouvent alors dans l’incapacité d’utiliser les nutriments et autres hormones de croissance amenés par les racines via la sève, car certaines molécules indispensables à leur fonctionnement (les enzymes) sont alors inhibées par les températures. Du coup, l’hiver venu, les arbres, qu’ils soient caducs (ceux qui perdent leurs feuilles) ou persistants, cessent toute activité de croissance.
Ils donnent l’impression d’être morts ; comme si leur vie était figée le temps de la mauvaise saison…
2. Il fabrique de l’antigel – Pour faire face aux deux mois les plus froids de l’année en France, janvier et février, les arbres s’endurcissent. Pas au sens littéral, mais en développant des processus de résistance au froid et au gel. Ceux-ci se mettent en place dès l’automne, avec la chute progressive des températures, et permettent aux arbres d’abaisser graduellement le point de congélation de leurs cellules, afin qu’elles n’éclatent pas sous l’effet du gel, même à des températures très basses. “C’est un processus très complexe. Il consiste en plusieurs modifications moléculaires et cellulaires progressives qui découlent de réactions biochimiques s’activant, s’inhibant et se réactivant constamment selon les fluctuations de la température extérieure”, s’enthousiasme Thierry Améglio, chercheur à l’Inra. Parmi elles, la fabrication d’“antigel”. Ainsi, dès que la température passe sous les 5 °C, l’arbre synthétise des enzymes qui vont dégrader l’amidon (de grosses molécules de sucre) – fabriqué par photosynthèse et mis en réserve à la belle saison dans l’écorce et le bois – en sucres plus petits et solubles à fort pouvoir “antigel”. Mais, dès que la température grimpe au-dessus de 5 °C, (l’après-midi, même en hiver), l’amidon se reconstitue car les protéines antigel fusionnent entre elles pour le reformer. Puis, quand la température rechute en soirée, il est de nouveau hydrolysé, et ainsi de suite. Inscrite dans les gènes de l’arbre, cette capacité d’endurcissement diffère d’une espèce à l’autre : si le noyer peut résister à − 20 °C maximum, les aiguilles du pin Pinus sylvestris survivent encore par… − 80 °C !
3. Il répare les dommages si besoin – Dès la fin février, l’arbre se prépare à l’arrivée des beaux jours. Là, sous l’écorce, débute un processus de réparation, voire de production de nouveaux vaisseaux transporteurs (le xylème) de sève brute (de l’eau et des sels minéraux). Une étape essentielle, car dans les feuilles, la photosynthèse transforme cette sève brute en sève élaborée, redistribuée ensuite des racines à l’ensemble de l’arbre. Or, sous l’effet du gel, l’air dissous dans l’eau et circulant dans les vaisseaux forme des bulles qui, si elles sont suffisamment grosses, restent coincées et obstruent le passage de la sève. On parle d’embolies hivernales. Pour les réparer, la plante fait un appel d’eau et de sucres dans les vaisseaux, qui génère une pression chassant les bulles d’air.
4. Il prépare l’arrivée des beaux jours – Dès le mois de janvier et jusque fin février, parfois même jusqu’en mars, la croissance des arbres, au niveau de leurs bourgeons, est relancée. Mais elle est alors si lente qu’elle reste invisible. Et paradoxalement, c’est le froid qui lève cette phase de dormance. En effet, pour sortir de sa léthargie, l’arbre doit avoir cumulé les heures froides (températures inférieures à 7 °C) durant trois à quatre semaines. Dès que son quota est atteint, souvent fin décembre, il entre alors dans une phase de croissance, limitée par les conditions environnementales : c’est “l’écodormance”. Cette dernière se prolonge tant que l’arbre n’a pas cumulé, cette fois, suffisamment d’heures chaudes, supérieures à 7 °C. Elle se joue essentiellement au niveau cellulaire, la sève ne circulant pas encore dans l’arbre. Dans les tissus du bourgeon, la multiplication des cellules indifférenciées a repris. Elles se divisent, grandissent, se différencient et assurent imperceptiblement la croissance du bourgeon.
— K.B.
Source : Science&Vie – Décembre 2015
Photo : © Christophe Deschanel – La forêt des Bertranges vue du ciel – Novembre 2017