Ça va débarder !
20 février 2025Lundi 10 février 2025, lune descendante*. Sur une parcelle de la forêt des Bertranges, entre Murlin et les Bertins, les agents de l’ONF et Emmanuel Gascard sont à pied d’œuvre depuis 8h15. La pluie qui redouble d’intensité ne freine pas les ardeurs d’Urysse et Tyrolienne, les deux juments comtoises d’Emmanuel, affectées au débardage des arbres prélevés sur la parcelle.
Débardage à cheval
La parcelle est vaste, environ 20 hectares. Le lot sur lequel les arbres sont prélevés représente 10% de la surface totale. Les arbres ont été martelés au mois de janvier par les agents de l’ONF. Au loin, on devine la voix d’Emmanuel en train de diriger ses juments. Gauche, droite, doucement, stop, recule… Urysse et Tyrolienne réagissent à chacune des incantations d’Emmanuel et s’approchent de l’orée du bois, évitant allègrement les pièges tendus au sol par la forêt : branches, branchages, arbres morts. Malgré leur silhouette massive, leur pas est alerte, il semble léger et souple. Les efforts et l’humidité ambiante conjugués, font s’échapper une légère fumée de la robe brune des chevaux. Sur le trinqueballe**, une grume de douze mètres et environ 2,5 mètres cubes qui font environ autant de tonnes. Doucement, mais sûrement, elles avancent du même pas suivi par Emmanuel et Camille, en stage débardage pour quelques semaines.
Un travail d’équipe entre l’homme et l’animal
C’est un travail d’équipe entre les bûcherons, les chevaux et les débardeurs. Sur les indications des derniers, les bûcherons font tomber l’arbre à l’endroit souhaité, débarrassé des branches mortes et autres obstacles au sol pouvant perturber la marche des juments. Urysse et Tyrolienne ont droit à une pause entre chaque grume débardée. « Plus que des chevaux, ce sont mes collègues, mes associées », précise Emmanuel. « Pour elles, c’est la dernière saison, après c’est la retraite. Elles l’auront bien mérité ». Chaque jour, ce sont une dizaine de grumes qui sont débardées, chacune pesant en moyenne 2 tonnes. « Chaque jument peut tracter deux fois son poids environ. En forêt, c’est un peu plus compliqué, il faut passer entre les arbres, éviter les obstacles… c’est ce qui rend le travail intéressant pour elles, comme pour nous ».
Les avantages du débardage à cheval
Les grumes sorties de la forêt par les comtoises d’Emmanuel rejoindront dans quelques jours la merranderie Maison Charlois, à Murlin, pour faire du merrain de très grande qualité. Cette parcelle offre parmi les plus beaux chênes des Bertranges. Des troncs de plus de dix mètres sous houppier, un petit diamètre synonyme d’une croissance lente et un grain extra-fin idéal pour la production de fûts destinés aux vins. Ces bois d’exception sont destinés à élever les plus grands vins au monde, il faut donc en prendre soin. Le débardage à cheval le permet. C’est une méthode douce pour extraire le bois grâce à un moindre compactage du sol car les chevaux ne l’écrasent pas et ne passent pas toujours au même endroit ce qui préserve à la fois les racines et les troncs. Les grumes, posées sur un trinqueballe**, ne sont pas en contact avec le sol lorsqu’elles sont tractées par les juments. Le sol, les grumes, les arbres, la biodiversité sont ainsi préservés grâce à cette méthode.
*Les rythmes lunaires ont une influence sur le bois. En lune descendante et quand les arbres sont en repos végétatif (période « hors sève » entre novembre et mars), le bois est naturellement plus sec. Les bois coupés pendant ces périodes sèchent plus rapidement, seraient de meilleure qualité et de meilleure conservation car moins sensibles aux attaques fongiques.
**Traineau de débardage, ou train de bois, tracté par les chevaux pour sortir le bois des forêts.
Photographies © Christophe Deschanel